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SSS: le pari gagnant de la collaboration

30 January 2007

Réalisée dans le cadre de la contribution exceptionnelle de la France au LHC, la conception des sections droites courtes (SSS) est le fruit d’une collaboration entre le CNRS et le CERN. La production industrielle, réintégrée sur le site du CERN, prend fin.

SSS: a collaborative winning gamble

The last of the 474 short straight sections (SSS) for the LHC have been assembled at CERN. These sets of magnets to focus the beams contain, among others, the main superconducting quadrupoles, and they have been developed and produced in the context of the special French contribution to the LHC project. CNRS (Institut de physique nucléaire d’Orsay) designed and assembled the 136 variations of SSS in collaboration with CERN. More than a thousand technical drawings were needed to document the project. Following the insolvency of the company in charge of production, CERN took over the assembly, showing that a laboratory could successfully lead industrial work.

Les dernières des 474 sections droites courtes du LHC sont en cours d’achèvement sur le site de Prévessin du CERN. La réussite de cet assemblage, qui a débuté il y a quatre ans, est le fruit d’un travail étroit entre le CERN et ses partenaires industriels. Elle marque également l’aboutissement d’une collaboration de 10 ans entre le CERN et le CNRS.

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Les sections droites courtes (appelées SSS de l’Anglais Short Straight Sections) sont les assemblages contenant les quadripôles supraconducteurs principaux de focalisation du LHC, fabriqués par l’entreprise allemande ACCEL, ainsi que les quadripôles d’insertion assemblés au CERN. En plus de ces aimants principaux, les SSS intègrent une grande variété d’aimants correcteurs, de systèmes d’instrumentation et de diagnostic, d’amenées de courant, de composants de cryogénie et du vide.

Intégrer tous ces éléments dans l’espace étroit des cryostats, tout en respectant les spécifications rigoureuses de charges thermiques sur le système cryogénique, constituait un défi pour les ingénieurs et dessinateurs du CERN et du CNRS. La conception était également rendue complexe par les mouvements au sein du cryostat. Les contractions thermiques causées par les variations de température (les aimants du LHC sont refroidis à 2 K) entraînent en effet des mouvements des composants. La stabilité et le positionnement géométrique précis de l’ensemble doivent pour autant être respectés. Etant donné le nombre important d’unités à assembler, un autre défi tenait au développement de méthodes d’assemblage à l’échelle industrielle. Enfin, un plan d’assurance-qualité très complet devait être mis en oeuvre pour s’assurer du respect des spécifications.

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Après l’approbation du projet LHC en décembre 1994, la conception finale des SSS a débuté en février 1996 avec la signature par le CERN et les deux instituts français CEA et CNRS d’un protocole de collaboration prévoyant plusieurs accords techniques d’exécution. Le premier accord, entre le CEA de Saclay et le CERN, portait sur la réalisation des masses froides des quadripôles supraconducteurs (p25). Le deuxième accord, entre l’IN2P3 du CNRS et le CERN, couvrait la conception industrielle des cryostats des SSS et de tous les équipements nécessaires à leur assemblage, réalisée par le bureau d’études de la division accélérateur de l’Institut de physique nucléaire (IPN) d’Orsay.

Dans le cadre de ce deuxième accord, le CERN pouvait tirer parti de ses compétences dans la conception de cryostats et de son expérience acquise lors de la réalisation des deux premiers prototypes de SSS testés dans la première chaîne de test du LHC dès 1994. Le CERN avait la responsabilité de définir les paramètres principaux de la conception et du pilotage du projet. Le CNRS, s’appuyant sur ses ressources en ingénierie et son bureau d’étude, avait comme mission l’étude de détail du cryostat, l’étude des outillages d’assemblage des SSS, la participation à la réalisation de deux prototypes pour la deuxième chaîne de test du LHC, le lancement et la participation au suivi des fabrications et des assemblages de série.

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Les sections droites courtes comprennent un grand nombre de variantes et leur assemblage est complexe. Les 474 unités comptent 60 types de cryostats, ce qui donne, en ajoutant les différentes masses froides, au total 136 variantes. Pour documenter un tel ensemble, le CNRS a produit au total plus de mille dessins techniques et une quarantaine de documents, des notes de calcul aux spécifications. Tous ces documents ont été validés par les ingénieurs du CERN et sont aujourd’hui disponibles dans le système informatique de gestion de données d’ingénierie.

Pour faire face à la complexité du projet et combler les difficultés liées à la distance entre le CERN et l’IPN d’Orsay, l’utilisation des technologies de l’information pour la gestion de projet s’est avérée indispensable. Le CERN a mis au point des moyens informatiques de communication, d’approbation et d’archivage des documents et de gestion des données très adaptés à ce travail de collaboration à distance. Ces outils, tels qu’EDMS (Engineering Data Management System), CDD (CERN Drawing Directory), les routines informatiques pour le transfert de dessins CAO et la transformation en format HPGL, ont largement été utilisés. Un rôle crucial a été rempli par les réunions de revue de projet, qui se sont déroulées tout au long de la collaboration, et qui ont permis, à chaque étape critique, d’en assurer le pilotage.

A l’automne 2002, suite à l’insolvabilité de l’entreprise allemande BDT en charge de la fabrication et de l’assemblage des SSS, le CERN a repris le travail à son compte. Cette décision stratégique majeure d’internaliser l’assemblage sur son site permettait d’éviter les inévitables retards engendrés par le lancement d’un deuxième appel d’offre. Un ancien atelier du CERN fut réaménagé en quelques mois, devenant opérationnel à l’automne 2003. Pendant que le CERN reprenait en main l’approvisionnement des composants fabriqués dans une dizaine de sociétés européennes, une petite équipe d’ingénieurs et de techniciens du Laboratoire européen se chargeait d’organiser l’atelier, de planifier la production, d’élaborer les procédures d’industrialisation et de rédiger le plan d’assurance qualité. L’exécution du travail, dans le cadre d’un contrat à obligation de résultats, fut confiée au consortium ICS, déjà en charge de l’assemblage au CERN des cryostats des aimants dipôles du LHC. Deux sociétés furent choisies pour le contrôle qualité: l’Institut de Soudure français, pour contrôler la conformité des soudures, et le consortium Air Liquide-40/30, pour vérifier l’étanchéité des circuits cryogéniques et du vide.

L’assemblage d’une section droite courte consiste essentiellement à introduire une masse froide, préalablement équipée d’écrans thermiques, dans une enceinte à vide qui isole thermiquement les aimants opérant à 2 K. Mais le travail le plus important consiste à intégrer des composants spécifiques à chaque SSS. Les composants à assembler sont préalablement inspectés, testés et préparés en kits selon le type de section à assembler. Cette approche valut au chantier le qualificatif humoristique de «Legoland». Gérer les stocks de plus de 400 sortes de composants à combiner selon 136 types d’assemblages s’est avéré un vrai casse tête, justifiant la mise en place d’une plate-forme logistique dédiée, pilotée par trois personnes à temps plein. Les techniques d’assemblage couramment employées sont le montage mécanique, les travaux de chaudronnerie, le soudage TIG et MIG sur acier inoxydable et aluminium, le brasage cuivre/inox ou le brasage de câbles supraconducteurs.

Jalonnant la phase d’assemblage, les inspections et les tests intermédiaires nécessaires pour valider la qualité du travail comportent des contrôles géométriques, des tests de continuité et d’isolation sur les circuit électriques des aimants et leur instrumentation, des tests de polarité des aimants pour dépister les erreurs de câblage, des inspections de soudure (visuelles et aux rayons X). Des tests d’étanchéité des circuits de cryogénie et du vide sont également menés à l’aide de détecteurs à spectrométrie de masse d’hélium. Plus de 5 km de soudures étanches pour les circuits cryogéniques et plus de 2500 tests d’étanchéité ont été réalisés. Les tests ont permis de localiser et de réparer 73 fuites. Ce plan d’assurance qualité rigoureux a permis d’intercepter plus de 550 non-conformités critiques aussi bien au cours de l’assemblage qu’à la réception des composants.

La figure, illustrant le rythme de production des SSS en fonction du temps, montre clairement la courbe d’apprentissage jusqu’à la maîtrise des procédés d’assemblage et de l’organisation de la production: une seule section droite courte était assemblée par mois en 2003, contre 20 au moins par mois en 2006. L’assemblage de chaque SSS durait entre deux et quatre semaines, selon la complexité. Lorsque l’activité a atteint son pic, 50 personnes, ouvriers et techniciens, étaient présentes dans l’atelier.

L’aboutissement de ce projet marque la fin d’une expérience très riche et unique. La durée de 10 ans de la collaboration, la complexité du LHC et les technologies de pointe auxquelles il a fallu faire appel ont constitué autant de défis pour la gestion technique, la gestion des ressources et la coopération des équipes entre deux instituts culturellement et géographiquement éloignés. Le défi de l’internalisation de l’assemblage a été gagné, prouvant qu’il est possible de mener à bien un travail industriel au sein même d’un laboratoire de recherche. Cette réintégration de l’assemblage au CERN, redoutée au début, a vite montré ses atouts: en ayant un accès immédiat et permanent à l’atelier, le CERN a pu anticiper et exercer un pilotage réactif, gage du succès.

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