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” Le CERN est un fleuron de la construction européenne “

28 September 2010

Dans une interview, François de Rose partage ses impressions sur l’organisation.

Summary

CERN, one of the proudest flagships of European co-operation

French diplomat François de Rose was one of CERN’s founding fathers, a member of the group, mainly of renowned physicists, who advocated to governments the creation of the first fundamental research centre on a truly European scale. Their mission was successful. CERN was founded in 1954 and de Rose was later president of Council (1958–60) and a French delegate to Council for many years. Now in his 100th year, in this interview he shares his impressions of the organization that has grown to host the world’s largest laboratory for particle physics. For an abridged version in English, see the CERN Bulletin http://cdsweb.cern.ch/record/1281661?ln=en.

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En mission diplomatique aux Etats-Unis, au lendemain de la Seconde guerre mondiale, François de Rose y rencontra de grands noms de la physique qui siégeaient, comme lui, à la Commission pour le contrôle international de l’énergie atomique de la toute jeune Organisation des Nations Unies. Il se lia d’amitié avec Robert Oppenheimer, rencontra Isidor Rabi et les Français Lew Kowarski, Pierre Auger et Francis Perrin, des physiciens convaincus que la reconstruction de l’Europe passait aussi par le développement de ses moyens de recherche. Les Etats-Unis s’étaient dotés de puissants accélérateurs de particules, et l’Union Soviétique suivait. Ces outils de plus en plus sophistiqués et imposants étaient trop onéreux pour un seul Etat européen. C’est ainsi que François de Rose et des scientifiques allèrent plaider auprès des gouvernements européens la création du premier centre de recherche fondamentale à l’échelle du Vieux Continent. On connaît la suite. Le CERN fut fondé en 1954 et François de Rose en fut le Président du Conseil de 1958 à 1960. Durant son mandat, il obtint notamment l’extension du CERN sur le territoire français. Il fut également délégué Français au Conseil du CERN pendant plusieurs années. Près de 60 ans plus tard, le CERN s’est hissé au premier rang mondial de la physique fondamentale, ce qui réjouit François de Rose, son seul fondateur encore en vie.

Au début des années 50, la physique fondamentale était dominée par les Etats-Unis et l’URSS. Aujourd’hui, le CERN est le plus grand Laboratoire de physique des particules du monde. Que vous inspire cette évolution?

Un de mes premiers souvenirs est celui du sentiment de fierté et d’enthousiasme qui a animé les premiers collaborateurs du CERN. Tout le monde avait le sentiment d’être embarqué dans une aventure sans pareille, depuis un géant de la science tel que Niels Bohr jusqu’au plus humble collaborateur théoricien ou expérimentateur. Je crois que c’est une expérience unique d’une entreprise scientifique qui a suscité des vocations aussi engagées et passionnées.

Quelles étaient les convictions qui animaient les grands scientifiques qui ont participé à cette aventure ?

L’idée essentielle était celle que m’avait exposée Robert Oppenheimer quand il aborda la suggestion qui devait aboutir à la création du CERN, et ce dès 1946 ou 1947 : ” Une grande partie des connaissances que nous avons, nous les avons acquises en Europe ” disait-il. Les moyens nécessaires à la recherche en physique fondamentale allaient devenir si importants qu’ils dépasseraient les ressources humaines et économiques des états européens pris individuellement ; ces pays devraient donc grouper leurs forces pour rester au niveau des Etats-Unis et de l’Union Soviétique. Cette coopération a nécessité une ferme conviction de la part des scientifiques qui prirent part à la création du CERN et des gouvernements qui acceptèrent d’en payer la réalisation. Tous les fondateurs seraient heureux de voir que leur espoir a été plus que comblé, le CERN abritant, aujourd’hui, le plus puissant instrument de recherche au monde.

Y avait-il des résistances face à ce projet, par exemple des résistances politiques puisqu’il impliquait la collaboration de pays qui venaient de se combattre ?

Je ne me souviens d’aucune difficulté particulière concernant les rapports entre les anciens belligérants. Nous étions sur le plan scientifique et les considérations politiques n’intervinrent jamais. Cela était d’autant plus facile qu’on avait décidé que le CERN ferait uniquement de la recherche fondamentale, qu’aucune application militaire n’y serait étudiée, et qu’aucun secret ne couvrirait ses travaux. Par ailleurs, l’idée de l’Europe était en marche. Il était de l’intérêt européen de mettre sur pied ce centre de recherches.

Les résistances émanaient de scientifiques qui, à la tête de leur propre laboratoire, craignaient que l’attribution de crédits importants au CERN ne tarisse les ressources sur lesquelles ils comptaient. En fait, ce fut le contraire qui se produisit, le CERN jouant le rôle d’une puissante locomotive qui entraînait l’ensemble de la recherche européenne.

Comment les scientifiques vous percevaient-ils alors que vous étiez le seul diplomate ?

Mon enthousiasme pour l’idée de fonder le CERN parla en ma faveur. J’en fus un avocat déterminé auprès des hommes politiques comme des autorités financières. J’aurais mauvaise grâce à donner l’impression que j’étais le seul à nourrir ces sentiments. Les scientifiques Francis Perrin et Pierre Auger en France, John Cockcroft en Angleterre, Eduardo Amaldi en Italie et plusieurs autres dans les pays nordiques ainsi qu’aux Pays-Bas s’en firent aussi les ” champions “. Il faut aussi souligner les encouragements de la communauté scientifique américaine.

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Ma formation de diplomate m’a servi mais dans des conditions particulières à l’égard du gouvernement français. Il fut clair dès le début que le CERN serait vite à l’étroit sur le site mis à sa disposition par les autorités genevoises. La seule solution était de s’étendre en territoire français. Je constituais donc le dossier d’extension avec les arguments politiques et financiers appuyant les arguments scientifiques. C’est sur ce dossier que le gouvernement français décida de mettre à la disposition du CERN la parcelle qui abrite aujourd’hui, entre autres, les installations du LHC.

Continuez-vous à suivre les actualités liées au CERN?

Je m’intéresse aux recherches du CERN lorsqu’elles ne sont pas trop complexes à comprendre. J’étais heureux et fier de la mise en marche du LHC. Je suis particulièrement intéressé par les recherches qui portent sur l’évolution de l’Univers et son origine. Il y a là une fenêtre qui s’ouvre sur un monde jusqu’à présent clos : les découvertes ne résoudront certainement pas toutes les énigmes mais nous permettront peut être de réaliser quelques pas dans cet inconnu.

Pourquoi êtes vous attaché au CERN?

Je suis attaché au CERN parce que c’est une aventure extraordinaire, qui m’a mis en contact avec des gens très intelligents et qui m’a ouvert des perspectives qui font rêver. C’est aussi parce que le CERN est à la fois l’un des plus beaux fleurons de la construction européenne, un foyer d’où rayonne la culture européenne dans ce qu’elle a de plus universel, un centre de paix qui accueille les chercheurs du monde entier. En ma qualité d’ancien diplomate, je me félicite du succès de cette entreprise de coopération internationale.

Justement, en tant que diplomate, quelle est votre opinion sur les liens entre la science fondamentale et l’entente entre les nations?

On peut penser que tout ce qui est du domaine des connaissances partagées est un élément de rapprochement. La science, qui a souvent été l’auxiliaire des œuvres de guerre, est devenue un instrument de rapprochement entre les nations. Archimède et Léonard de Vinci, et tant d’autres, ont travaillé à des œuvres de guerre. Mais, dit on, les Chinois n’avaient trouvé que les feux d’artifice comme application de la poudre. Ma fréquentation régulière des hommes de science m’a permis de constater que ceux-ci sont profondément attachés au développement pacifique de leurs activités.

Quelle est selon vous l’utilité de la science fondamentale dans un monde plutôt porté vers la rentabilité économique à court terme?

La spéculation intellectuelle la plus désintéressée est la plus haute. La science fondamentale n’obéit pas dans son principe à la notion d’utilité. Pourtant, très nombreuses sont les retombées qui ne répondent pas à l’objectif primaire du chercheur, mais en sont les conséquences directes ou indirectes. C’est ainsi que le Web, qui est utilisé dans le monde entier, a son origine dans les travaux du CERN.

Si vous souhaitiez transmettre un message aux scientifiques qui viennent mener leurs recherches au CERN, quel serait-il?

Plusieurs générations de scientifiques et administrateurs ont œuvré au CERN depuis plus d’un demi siècle. Ils ont tous été conquis par l’importance à la fois scientifique et internationale du travail auquel ils étaient associés. Je souhaite que ce double idéal anime toujours les hommes et les femmes qui ont le privilège de travailler au CERN. Je suis d’ailleurs sûr qu’il en sera ainsi.

• Cet article a été en partie publié dans le Bulletin du CERN (http://cdsweb.cern.ch/record/1281661?ln=fr).

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