Par Gilles Cohen-Tannoudji et Michel Spiro. Postface de Michel Serres.
Gallimard
Broché: €9.90
Format numérique: €9.40
Gilles Cohen-Tannoudji et Michel Spiro revisitent plusieurs siècles de physique, en s’attardant bien sûr sur le XXe, qui a vu les révolutions de la théorie de la relativité et de la mécanique quantique. Si la partie consacrée au passage de la mécanique quantique à la théorie quantique des champs n’est pas de lecture vraiment aisée pour le non-spécialiste, celui-ci peut vite retrouver le rythme grâce à l’introduction des diagrammes et amplitudes de Feynman, qui sont une mise en musique de la théorie dynamique des interactions fondamentales. Le Modèle standard est évoqué rapidement, ainsi que les théories de jauge. La nécessité de mécanisme de BEH (pour Brout, Englert et Higgs) est alors introduite avec l’émergence des masses. Il faut noter que jamais les auteurs ne se laissent aller au raccourci facile de l’expression ” boson de Higgs ” ni ne parlent de ” particule de Dieu ” : tout au long de l’ouvrage, le boson est nommé, à juste titre, ” BEH “.
Le non-physicien devra s’armer de courage pour parcourir le chapitre sur la chromodynamique quantique mais en sera récompensé en découvrant l’explication de l’énigmatique titre du livre, qui associe le boson et le chapeau mexicain.
L’histoire du CERN, de sa compétition avec les laboratoires à accélérateurs d’outre-Atlantique et de ses succès, tient une grande place dans ce livre. Les auteurs n’hésitent pas à développer les aspects techniques de l’aventure. Le plaisir que j’ai eu à lire ce livre a été d’autant plus grand que j’ai eu le privilège d’interagir avec Michel Spiro durant son mandat de président du Conseil du CERN. Il m’appelait souvent tôt le matin afin d’avoir des nouvelles de la santé du LHC et voulait savoir pourquoi on ne poussait pas plus rapidement les performances de cette fantastique machine à découvertes. C’est dire l’importance qu’il attache à la découverte du boson BEH, annoncée le 4 juillet 2012 au CERN : consécration d’une longue traque mondiale qui n’a pu être obtenue que grâce à la conception, à la construction et à la mise en service de l’accélérateur LHC.
Les aspects politiques du CERN ne sont pas oubliés : ils sont décrits comme des ingrédients essentiels du succès de l’organisation, et cette description est magistralement développée dans la postface de Michel Serres, ode au CERN et à son mode de gouvernance, o¥ le philosophe défend l’idée que le modèle fonctionne si bien qu’il devrait être reproduit dans d’autres domaines des sciences. Cette postface remarquable de clarté et de richesse aurait pu être mieux valorisée – si le texte avait servi de préface, il aurait permis au lecteur de mesurer encore mieux le rôle du CERN dans la découverte du boson.
Ce livre, que les auteurs ont voulu à moins de 10 €, est écrit dans la langue de Louis de Broglie et François de Rose, pères fondateurs du CERN. Il décrit avec précision et passion la quête du boson BEH qui ouvre les portes la physique au-delà du Modèle standard. Ne boudons pas cette chance de pouvoir lire un tel ouvrage en français !
Il précise que l’aventure n’est pas terminée. Le boson BEH n’est qu’une étape et de nombreuses questions demeurent : le Modèle standard ne décrit que 4% de la matière de l’Univers. Comme le mentionnent les auteurs, il faut dès maintenant semer les graines des prochaines technologies des accélérateurs et des détecteurs afin d’être en mesure de construire les machines post-LHC. En fonction des résultats du LHC quand il fonctionnera à une énergie de 13–14 TeV après le long arrêt technique de 2013–2014, il faudra financer et construire un accélérateur capable d’atteindre des énergies proches de 100 TeV.